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Incendie Causé par des Mineurs : 14 Ans de Procédure sur la Responsabilité et l’Indemnisation

Un incendie d'entrepôt déclenché  par des mineurs

Un incendie déclenché par des mineurs dans un entrepôt …… La Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt le 21 mai 2025 concernant un incendie survenu en 2011, causé par deux mineurs.  14 ans de procédure.  Cette affaire était un modèle du genre.

Le préjudice était très important. 3.700.000€ pour la société commerciale locataire. 2.707.337€ pour la propriétaire rien que pour le dommage matériel.

Les Faits à l’Origine du Sinistre

Un jeu dangereux de mineurs dans un entrepôt désaffecté

Les mineurs avaient joué à allumer des cigarettes avec un briquet, dans un entrepôt désaffecté en pleine campagne. Ils avaient déclenché un premier petit incendie, mais ils étaient revenus quelques temps plus tard et avaient recommencé. Cette fois l’entrepôt avait brûlé. Les dégâts étaient énormes puisqu’il fallait reconstruire.

Des dégâts matériels considérables et un long contentieux pénal

Ils avaient été poursuivis devant le tribunal pour enfants ce qui a considérablement retardé la liquidation du préjudice car l’affaire s’est perdue dans des méandres…
La société locataire était partie civile et les auteurs de l’incendie avaient essayé, devant la juridiction pénale, de faire diminuer son indemnisation au motif qu’elle n’aurait pas bien protégé les lieux. Il a fallu que l’affaire pénale aille en appel pour que cette prétention soit écartée.

Notons que les incendies déclenchés par des mineurs sont parmi les litiges les plus fréquents en matière d’incendie.

Le Tournant Civil de la Procédure et les Parties Impliquées

La question centrale : l’indemnisation du propriétaire et la répartition des responsabilités

L’affaire s’est ensuite poursuivie sur le plan civil afin, cette fois, de faire indemniser également le propriétaire des lieux. Si les responsabilités ne faisaient pas grand doute (celles, en tout cas, des mineurs et donc de leurs parents), il s’ajoutait la question de la responsabilité du locataire de l’entrepôt (pourtant déjà jugée au pénal comme étant nulle), celle du propriétaire, et bien sûr toutes les questions relatives à l’analyse de tous les contrats d’assurance.

Un maquis d’assureurs et de parties civiles

Etaient en présence dans ce dossier :

    • Les parents des deux mineurs, divorcés, tous les deux avec leurs assurances, (et un parent est décédé pendant la procédure qui a duré 11 ans…)
    • Le propriétaire de l’entrepôt détruit, victime de l’incendie
    • Son assurance
    • Le locataire de l’entrepôt
    • Son assurance

La question principale était de déterminer les responsabilités respectives des parties impliquées, mais surtout la prise en charge par les assurances.

La société propriétaire de l’entrepôt n’avait pas été suffisamment indemnisée par son assurance pour procéder à la reconstruction, elle a donc assigné sa propre assurance, mais aussi les responsables et leurs assurances ainsi que sa propre locataire et son assurance.

L’Analyse de la Cour d’Appel : Les Principes Juridiques en Action

L’absence de faute du propriétaire : la rupture du lien de causalité

Le tribunal judiciaire, en première instance, avait retenu une responsabilité partielle de la société propriétaire au motif que les locaux n’auraient pas été bien protégés ni entretenus. Elle avait réduit son droit à indemnisation de 25%.

La Cour d’appel a infirmé cette décision, elle a jugé que le propriétaire de l’entrepôt n’avait pas contribué à son propre dommage.

L’absence d’entretien ne pouvait pas venir diminuer l’indemnisation du propriétaire car ce n’était pas cette absence d’entretien qui était à l’origine de l’incendie. Il n’y a pas de lien de causalité entre ces deux faits.

Le propriétaire devait donc être indemnisé à 100%.

La responsabilité du locataire : la présomption de responsabilité et l’absence de force majeure

Le locataire, de son côté, est en principe présumé responsable de l’incendie, de par la loi. Il ne peut écarter cette présomption qu’en cas de force majeure ou cas fortuit assimilé à la force majeure.

La Cour a jugé que la pénétration des mineurs dans un entrepôt abandonné n’était pas un cas de force majeure.  Le locataire était donc responsable.

La répartition de la responsabilité entre les parents et le locataire

Restait à répartir la responsabilité entre les parents des incendiaires et le locataire. Tous ces acteurs sont responsables sur le fondement d’une responsabilité objective, sans qu’il y ait à démontrer une faute. Le tribunal a pourtant retenu ¼ pour le locataire et ¾ au total pour les parents des incendiaires.

La Cour a condamné le locataire à indemniser le propriétaire à concurrence de 25% du préjudice tandis que les parents des mineurs sont tenus à 37,5% pour chacun des mineurs soit 75% au total.

Une Solution Juridique Originale et ses Implications

La prise en compte des fautes des mineurs pour condamner leurs parents

Une solution originale puisque le tribunal se fonde sur les fautes des mineurs alors que ce sont les parents qui sont condamnés.

Or on sait depuis longtemps que la responsabilité des parents ne repose pas sur une faute. Ils sont responsables de plein droit. (Voir l’article sur la responsabilité civile des parents et ce que change la loi ATTAL)

Ainsi tous ces responsables étaient responsables sur le fondement d’une responsabilité objective (car les parents ne sont pas fautifs, seuls les enfants le sont). Dès lors il n’y avait pas réellement de raison de condamner davantage les parents que le locataire.

En présence de plusieurs responsables, théoriquement c’est le plus fautif qui paie le plus cher. Et s’il n’y a que des responsables objectifs, ils partagent à parts égales.

Mais la Cour a tenu compte semble-t-il des fautes des mineurs et elle a même poussé le détail à répartir les responsabilités entre les parents de chacun des mineurs (à 50/50).

L’analyse des contrats d’assurance : la clé de l’indemnisation effective

La Cour a eu le mérite de régler une affaire qui durait depuis 11 ans et de rédiger une décision de 44 pages particulièrement complexe, puisqu’elle a dû aussi s’occuper d’analyser tous les contrats d’assurances, celui du propriétaire, celui du locataire, et ceux de chacun des parents.

Les Enseignements et Conséquences de l’Arrêt

Le fléau des incendies criminels commis par des mineurs

Cette affaire illustre aussi un phénomène de société particulièrement regrettable : les incendies déclenchés par les mineurs (mise à feu de voitures dans des parkings, séances de fumage de cigarettes dans des entrepôts, mise à feu de poubelles pour se distraire) sont un fléau non seulement pour les victimes mais aussi pour les parents.

Le risque du découvert de garantie pour les parents

On relèvera que l’affaire portait sur plusieurs millions d’Euros et que certains parents se sont assurés avec des plafonds de garantie de l’ordre de seulement quelques centaines de milliers d’Euros. Or à l’égard de la victime, ils sont tous condamnés in solidum…. Théoriquement chacun peut être poursuivi pour le tout. Certains parents subissent ainsi ce qu’on appelle un découvert de garantie (ils ne sont pas couverts pour un certain montant de la condamnation) de plusieurs millions d’Euros. Ils ne pourront jamais acquitter cette dette.

L’exécution de la décision : des recours théoriques mais peu exercés

Théoriquement les assurances qui ont pris en charge le préjudice pourraient exercer un recours contre les responsables, pour leur part, mais comme la vie des débiteurs ne suffirait pas à payer, jusqu’à présent on observe que souvent ces recours ne sont pas exercés.  Pour le moment.

Conclusion : Un Arrêt de Référence pour les Litiges Complexes d’Assurance

Cette affaire démontre la complexité des procédures longues impliquant des mineurs et multiples parties. Elle souligne l’importance cruciale d’une couverture d’assurance adaptée pour les parents et la rigueur requise dans l’analyse des contrats d’assurance pour parvenir à une indemnisation équitable, malgré les limites pratiques de l’exécution des décisions de justice.

Catherine Marie KLINGLER
Avocat au Barreau de Paris

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Responsabilité civile des parents : ce que change la loi ATTAL

Des parents encadrant leurs enfants illustrant la responsabilité parentale

Les parents sont responsables des dommages provoqués par leurs enfants. Le fondement de cette responsabilité est le fait que les parents éduquent l’enfant, même s’ils ne vivent pas ensemble. Si l’enfant se comporte mal et cause des dommages, ce sont les parents, et non l’enfant, qui doivent en supporter la responsabilité.

Autorité parentale et garde de l’enfant

Au cours des années écoulées, ce régime de responsabilité a considérablement varié. Pendant longtemps, pour qu’un parent soit responsable, il fallait que l’enfant habite chez lui. Le cas des parents divorcés a fait couler beaucoup d’encre…. Le parent chez qui l’enfant n’habitait pas (celui qui n’avait pas la « garde ») n’a, pendant longtemps, pas eu de responsabilité.  Ensuite la notion d’autorité parentale a remplacé celle de garde.

Les tribunaux continuaient d’être indulgents avec le parent qui n’habitait pas continuellement avec l’enfant.

Après bien des tergiversations et des divergences, il devenait difficile de savoir quand un parent séparé ou divorcé pouvait ou non être condamné pour des dommages causés par l’enfant.

L’Arrêt de la Cour de Cassation du 28 juin 2024

La Cour de Cassation a décidé le 28 juin 2024 que les deux parents sont responsables s’ils ont « l’autorité parentale ». On ne s’occupe donc plus de savoir où le mineur habite ni avec qui (Décision de la Cour de Cassation du 28 juin 2024)

On considère désormais que les deux parents ont la responsabilité d’élever l’enfant, et cette responsabilité persiste même s’ils sont séparés. Si l’enfant se comporte mal, la « faute » en revient aux deux parents sauf s’ils ont été privés de l’autorité parentale, car dans ce cas ils n’ont pas pu éduquer l’enfant. Ils ne sont pas responsables non plus si l’enfant a été « placé » par une administration car alors ils ne peuvent plus l’éduquer eux-mêmes.

Cette décision du 28 juin 2024 a été rendue en assemblée plénière, ce qui signifie que la question est une question de principe et que l’on a fait appel a des magistrats de toutes les chambres pour avoir un éclairage du problème sous tous les angles. L’assemblée plénière de la Cour de Cassation réunit 19 membres : le premier président ainsi que trois des représentants des six chambres de la Cour (dont le président et le doyen de chaque chambre) : la chambre commerciale, la chambre criminelle, la chambre sociale et les trois chambres civiles !

Cette décision a donné un tour nouveau aux affaires de responsabilité des parents. Attention, cela rejaillit aussi sur l’obligation de s’assurer pour les dommages causés par un enfant, même s’il n’habite plus avec vous.  Les dommages causés peuvent être très graves, comme on le voit par exemple dans les cas d’incendies causés par des enfants. Ces affaires peuvent porter sur plusieurs millions d’EURO, alors que bien souvent le contrat souscrit par les parents plafonne la garantie à 200.000 ou 300.000 EUROS.

Lire l’article publié récemment : Incendie Causé par des Mineurs : 14 Ans de Procédure sur la Responsabilité et l’Indemnisation.

La loi ATTAL du 23 juin 2025

Dans la ligne de cette décision de la Cour de Cassation, l’art.1242 alinea du code civil vient d’être modifié par l’article 3 de la loi ATTAL  n° 2025-568 du 23 juin 2025.visant à renforcer l’autorité de la justice à l’égard des mineurs et de leurs parents.

Désormais :

«  les parents, en tant qu’ils exercent l’autorité parentale, sont, de plein droit, solidairement responsables du dommage causé par leurs enfants mineurs, sauf lorsque ceux-ci ont été confiés à un tiers par une décision administrative ou judiciaire. »

Qui plus est, l’article 3 de la loi du 23 juin 2025 modifie également l’article L.121-2 du code des assurances pour autoriser les assureurs à se retourner contre un parent définitivement condamné en application de l’article 227-17 du code pénal pour des faits en lien avec la commission du dommage, dans la limite de 7 500 euros. Toute clause des contrats d’assurance excluant systématiquement l’application de cette disposition est réputée non écrite.

L’art 227-17 du code pénal est un texte méconnu qui punit les parents pour « abandon d’enfant » lorsque, par leur comportement, ils mettent leur enfant en danger, et notamment l’exposent à avoir de mauvais comportement. La réforme de la responsabilité des parents pourrait donner une seconde vie à ce texte peu utilisé par les juridictions répressives contre les parents.

Conclusion

De fait et comme l’indique son titre, cette loi a surtout été prise pour remédier aux conséquences de la délinquance des mineurs. Le législateur semble avoir été mu par une volonté de responsabiliser les parents, voire de les punir sur le plan pécuniaire.

Il est vrai que la délinquance des mineurs est souvent liée à une certaine démission de la part des parents qui ne veulent ou ne peuvent plus assumer leur rôle éducatif. La réponse à ce phénomène n’a toujours pas été trouvée, et cette loi est une nouvelle piste.

La réforme fera peser une charge supplémentaire sur les assurances, en particulier l’assurance habitation qui contient, le plus souvent, un chapitre sur la responsabilité des parents. Il est probable que cela entraînera à terme un renchérissement sur les primes d’assurance. L’avenir dira si la mesure est efficace et si l’art.227-17 du code pénal connaîtra un regain d’intérêt.

Catherine Marie KLINGLER
Avocat au Barreau de Paris

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Propriétaires de Chevaux et Accidents de Circulation : Qui est responsable ?

Un motard a été gravement accidenté sur une route de campagne. A la sortie d’un virage, ébloui par le soleil, il n’a pas vu qu’une voiture...

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Propriétaires de Chevaux et Accidents de Circulation : Qui est responsable ?

chevaux égarés sur la route

Un motard a été gravement accidenté sur une route de campagne. A la sortie d’un virage, ébloui par le soleil, il n’a pas vu qu’une voiture était arrêtée en pleine voie. La conductrice avait été obligée de s’arrêter car des chevaux erraient sur la route. Le motard a heurté de plein fouet la voiture et a été gravement blessé.  Il demandait à l’assurance de la voiture de l’indemniser. L’assurance de la voiture s’est retournée contre la propriétaire des chevaux. Or la propriétaire avait, la veille, laissé un agriculteur déplacer les chevaux puis les placer dans un enclos, puis pour finir, un inconnu avait sectionné la clôture de l’enclos, ce qui avait permis aux chevaux de s’échapper sans que la propriétaire soit au courant.

La question de la responsabilité

Dans un arrêt du 2 juillet 2018, la Cour d’Appel de Paris rappelle un principe important : en présence de plusieurs responsables d’un même fait dommageable, les recours qu’ils exercent entre eux ne peuvent être fondés que sur des fautes plus ou moins graves qui pourraient leur être reprochées, et non pas sur des régimes de responsabilité « sans faute ».

Deux responsabilités « sans faute »

La responsabilité en matière de circulation routière est régie par la loi du 5 juillet 1985 qui permet d’engager, sans qu’il soit nécessaire de démontrer une faute, la responsabilité d’un conducteur automobile ou d’une moto (véhicules terrestres à moteur) , dès l’instant que le véhicule est « impliqué » (par exemple par un contact ou une position gênante).

La responsabilité d’un propriétaire d’animaux est également une responsabilité « sans faute » qui, à l’époque des faits, était régie par un texte de 1804 l’art.1385 ancien du code civil « Le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé ». Il n’est nécessaire de démontrer aucune faute du propriétaire pour engager sa responsabilité.

Le vent de nouveauté qui souffle sur toutes choses a réformé le code civil. Le nouvel art. 1243 qui remplace l’ancien art. 1385 est ainsi libellé «  le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé » (cherchez – ou plutôt ne cherchez pas la différence car il n’y en a pas).

Pourquoi des régimes de responsabilité « sans faute » ?

Ces régimes de responsabilité dits « sans faute » sont destinés à permettre une indemnisation plus facile des victimes, qui n’ont pas à démontrer une faute qui a causé leur préjudice.

Ces régimes sont très nombreux et les deux cités plus haut ne sont que des exemples.

Les situations de concours de responsabilités

En présence de plusieurs responsables d’un accident, la victime peut se tourner vers l’ensemble de ces responsables ou alors choisir de n’agir que contre un seul. Celui-ci va alors se retourner le plus souvent contre les autres responsables, que l’on appelle « co-responsables » ou « co-impliqués ».  Il invoquera la subrogation (le fait d’avoir payé à la place du responsable).

Mais le co-responsable ou co-impliqué ne bénéficie pas des mêmes facilités qu’une victime. Il ne peut pas invoquer à son profit les régimes de responsabilité « sans faute ». Pour rejeter sur quelqu’un d’autre tout ou partie de sa responsabilité, le co-responsable doit prouver que cette personne a commis une faute.

Ce principe est bien connu dans les accidents de la circulation. Lorsqu’il y a carambolage et que plusieurs conducteurs (et leurs assurances) sont poursuivis par les victimes, les conducteurs ne peuvent rejeter la charge de la responsabilité, entre eux, qu’en démontrant que l’un ou plusieurs d’entre eux ont commis des fautes. La responsabilité sera alors partagée en fonction de la gravité des fautes respectives.

Et c’est le même principe lorsqu’une situation se trouve au centre de plusieurs responsabilités régies par des textes différents.

Un concours de circonstances qui devient un concours de responsabilités

Dans le cas soumis à la Cour d’Appel, des chevaux s’étaient échappés d’un enclos qui n’était pas celui de leur propriétaire. La propriétaire avait, la veille, autorisé un agriculteur à déplacer les chevaux pour faire des travaux agricoles. Les chevaux n’avaient pas été remis à leur place. Ils s’étaient échappés car quelqu’un avait coupé les fils de clôture de l’enclos. Les chevaux s’étaient égarés sur la route et avaient obligé une voiture à s’arrêter en pleine chaussée. C’est alors qu’un motocycliste, surgissant d’un virage, ébloui par le soleil, n’avait pas pu éviter l’automobile. Il était gravement blessé. L’accident était le résultat de toutes ces circonstances.

Qui est le responsable final ?

La victime n’avait poursuivi que l’assurance de la voiture. L’assurance du véhicule automobile avait alors eu l’idée de rejeter toute la responsabilité sur la propriétaire des chevaux.  La raison bien commode était qu’il était inutile de démontrer une faute à son encontre (art.1385 du code civil). Et donc pourquoi ne pas rejeter sur elle la totalité des conséquences de l’accident ?

Quel régime de responsabilité choisir ?

Un problème épineux était soumis à la sagacité des avocats et des juges . Il fallait appliquer en même temps le droit des accidents de la circulation (loi du 5 juillet 1985) pour protéger la victime, tout en sachant qu’il existe aussi un régime de responsabilité sans faute du fait des animaux.  Mais la victime ne demandait rien à la propriétaire des chevaux. L’action était exercée par l’assurance de la voiture. Elle était donc fondée sur la subrogation des anciens art.1251 et suivants du code civil (le principe de la subrogation est que celui qui a payé quelque chose pour le compte de quelqu’un d’autre a le droit de poursuivre le véritable redevable car il est « subrogé » dans les droits de la victime). La question se posait donc de savoir qui pouvait appliquer quel régime de responsabilité à qui. Le régime de responsabilité sans faute du fait des animaux pouvait-il être utilisé par l’assurance de la voiture contre la propriétaire des chevaux ?  Un véritable cas d’école.

Résultat Final

La solution donnée par la Cour d’Appel

Le premier juge, dérouté par la complexité de l’affaire, avait simplement appliqué l’art.1385 ancien du code civil. Il avait estimé que comme la propriétaire d’animaux était responsable sans que l’on ait besoin de démontrer une faute de sa part, elle pouvait être redevable de la totalité des dommages. Et le premier juge avait condamné la propriétaire des chevaux à rembourser la totalité du dommage à l’assurance de la voiture.

La propriétaire des chevaux était évidemment très mécontente. Elle avait interjeté appel. Elle faisait remarquer qu’elle n’avait commis aucune faute et que, puisque la victime ne lui demandait rien, les autres auteurs de l’accident ne pouvaient pas la faire condamner sans qu’une faute fût démontrée à son encontre.

La Cour d’Appel réforme totalement le jugement. La Cour d’Appel rappelle que quand un recours n’est pas exercé par la victime mais par un co-responsable, ce recours doit être fondé sur une faute c’est-à-dire ici l’ancien art.1382 du code civil et que donc il ne peut pas être fondé sur l’ancien art.1385.  Un co-responsable ne peut pas bénéficier des régimes favorables de responsabilité dits « sans faute » qui ont été créés pour les victimes.

C’est déjà ce qu’avait jugé la Cour d’Appel de Chambéry dans un arrêt du 18 octobre 2012. Il s’agissait d’un enfant de 5 ans accidenté au cours d’une remontée en télésiège ; pressé par des passagers adultes, il avait eu la tête coincée contre le garde corps d’un télésiège ; il avait été privé d’oxygène 14 minutes, et asphyxié ; ce qui avait entrainé un arrêt cardio-respiratoire, un coma et des séquelles graves ; indemnisé par l’assurance du passager qui l’avait comprimé, celle-ci avait voulu se faire rembourser par  l’assurance de l’exploitant de télésiège, au titre d’une responsabilité « de plein droit ». La demande a été rejetée.

Dans le cas jugé par la Cour d’Appel de Paris ce 2 juillet 2018, l’assurance du véhicule voulait faire payer les dommages par la propriétaire des chevaux, sans avoir à démontrer une quelconque faute de sa part. Et comme personne n’a invoqué la moindre faute contre la propriétaire des chevaux, qui  n’en avait d’ailleurs commis aucune (la Cour prend le soin de le démontrer) , aucune responsabilité n’est mise à sa charge.

C’est seulement si elle avait commis une faute qu’elle aurait pu contribuer à la dette, et encore aurait-il fallu comparer la gravité respective des fautes de chacun des participants à l’accident.

« Sur le fond, en droit, en application des articles 1382 et 1251 du code civil, la contribution à la dette de réparation du dommage subi par la victime d’un accident de la circulation, entre le conducteur d’un véhicule impliqué et un tiers non conducteur de véhicule terrestre à moteur, a exclusivement lieu à proportion de la gravité de leurs fautes respectives.

Il s’en déduit, que, d’une part, le recours en contribution exercé par la Banque Postale en vertu de l’article 1385 du code civil doit être rejeté comme mal fondé, toute discussion sur la détermination du gardien des chevaux en divagation étant juridiquement inopérante, et que, d’autre part, ce recours impose, nécessairement et uniquement, de rechercher si la divagation des chevaux est fautivement imputable à Nolwenn A.

….Il s’en déduit qu’aucune faute d’imprudence ou de négligence n’a été commise par Nolwenn A, de sorte que le recours formé à son encontre par la Banque Postale doit être rejeté, en infirmation du jugement entrepris et que, corrélativement, l’appel en garantie formé par Nolwenn A et son assureur à l’encontre de David B et son assureur est sans objet. »

Voilà de quoi redonner le sourire aux chevaux qui, eux, n’ont pas été blessés dans l’accident.

Catherine Marie KLINGLER
Avocat au Barreau de Paris

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Spectacles, festivals et Covid-19 : la question de l’assurance

Le secteur des spectacles et des festivals est (avec celui de la restauration) l’un des secteurs qui ont été frappés le plus durement par le COVID-19. Quid des assurances ?

Affiche du groupe MOTÖRHEAD au Zenith de paris le 15 novembre 2015

Spectacle vivant et assurance

A la suite des attentats de novembre 2015, le concert d’un célèbre groupe de rock prévu pour le 15 novembre 2015 au Zenith de Paris a été reporté au 2 février 2016. Finalement il a dû être annulé à cause du décès brutal d’un membre du groupe. Et l’assurance ?

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