Licenciement pour faute grave : une preuve illicite admise
Un enregistrement sonore réalisé par l’employeur à l’insu du salarié est-il une preuve valable pour justifier le licenciement pour faute grave ?
OUI, répond la Cour de Cassation dans un arrêt très remarqué (Assemblée plénière) du 22 décembre 2023, à condition que cet enregistrement soit indispensable à l’employeur pour se défendre (Cour de Cassation, Assemblée plénière, 22 décembre 2023, 20-20.648, Publié au bulletin).
Rappel des Jurisprudences
,Alors que la Cour d’Appel d’Orléans avait déclaré cet enregistrement irrecevable (rappelons qu’enregistrer une personne à son insu est une infraction pénale punie par l’article 226-1 du Code pénal), la Cour de Cassation censure la Cour d’appel et admet que l’employeur puisse démontrer la faute grave du salarié par un enregistrement sonore réalisé à son insu.
Si l’on est habitué à ce qu’en matière pénale, les enregistrements illicites soient admis comme mode de preuve, en matière de Droit du travail, la solution est plus originale, puisque les intérêts en présence sont ceux de deux personnes de Droit privé.
Dans deux arrêts anciens (Cassation, Chambre sociale 23 mai 2007 06-43209 et Cassation Assemblée plénière 7 janvier 2011 09-14.316 09-14.667), la même Cour de Cassation avait jugé que le salarié ne pouvait pas utiliser un enregistrement de son employeur réalisé à son insu.
Le 10 novembre 2021, la même chambre sociale (Cassation, Chambre sociale 10 novembre 2021 20-12263) avait jugé qu’il n’était pas possible d’utiliser, pour licencier une salariée et pour prouver les fautes qu’elle avait commises, des enregistrements vidéo.
La raison en était que le système vidéo avait été installé pour surveiller les vols dans une pharmacie, mais les salariés n’avaient pas été informés de ce que cela pouvait aussi être utilisé pour les surveiller.
Le principe de proportionnalité
Sous l’influence du Droit européen et des « principes généraux », il est désormais admis que les juges peuvent écarter une loi, un texte règlementaire, une règle quelconque, si cela porte atteinte au « principe de proportionnalité ».
Avant de décider d’écarter une règle, ils doivent vérifier que la règle invoquée
- Est adaptée au but recherché
- Est nécessaire au but recherché
- N’impose pas à l’individu une contrainte excessive par rapport à l’objectif à atteindre.
Et s’ils considèrent que les conditions ci-dessus ne sont pas remplies, alors ils peuvent écarter cette règle dans un cas précis.
Dans notre cas, la Cour de Cassation, dans son arrêt du 22 décembre 2023, se montre très pédagogique. La règle de l’interdiction d’enregistrer une personne à son insu peut être écartée :
- Parce que l’enregistrement était indispensable pour la défense de celui qui utilise cette preuve, c’est-à-dire qu’il ne disposait d’aucune autre preuve et ne pouvait donc pas se défendre
- Et parce que l’atteinte que cela porte aux droits de l’autre partie (le salarié) est « proportionnée » au but poursuivi (prouver un licenciement pour faute grave).
La limite
Une limite tout de même : il ne faut pas avoir obtenu cette preuve par un « stratagème », autrement dit avoir tendu sciemment un piège. Cette idée repose « sur la considération que la justice doit être rendue loyalement au vu de preuves recueillies et produites d’une manière qui ne porte pas atteinte à sa dignité et à sa crédibilité ». C’est la dignité et la crédibilité de la Justice qui sont ici en cause. Le rappel est salutaire.
Sous ces limites, le contrôle de « proportionnalité » est exercé par le juge et renforce le pouvoir des tribunaux. Il va permettre au juge d’écarter une règle générale et impersonnelle : une loi, un texte réglementaire, c’est-à-dire une règle bien précise. Le juge pourra décider de ne pas tenir compte de cette règle, en fonction d’une appréciation qui, il faut bien l’admettre, laisse la place à une certaine subjectivité.
Le risque d’une rupture d’égalité entre les justiciables est tangible puisqu’une même règle, en vertu du principe de proportionnalité, pourra être écartée dans un litige et ne pas être écartée dans un autre.
Conclusion
Il faut bien le dire, le contrôle de proportionnalité séduit. Il est de plus en plus souvent « mis à toutes les sauces ». A la Cour de Cassation d’en poser les limites et de mettre en place un système cohérent.
Cet arrêt récent est un revirement de jurisprudence. Mais sa grande qualité de rédaction permet de mieux comprendre le principe et son intérêt, et de s’en inspirer, que ce soit pour la défense d’un employeur ou d’un salarié.
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