Trois Conseils de Prud’hommes se rebellent contre les ordonnances du 22 septembre 2017 dites « Macron », qui plafonnent les indemnités pour licenciement « sans cause réelle et sérieuse », en fonction de l’ancienneté.
Par trois décisions récentes, les Conseils de Prud’hommes de TROYES le 13 décembre, d’AMIENS le 19 décembre, et de LYON le 21 décembre 2018, ont refusé d’appliquer les ordonnances MACRON du 22 septembre 2017 instituant le plafonnement des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Les faits
Pour rappel, ces ordonnances ont modifié l’art L1235-3 du Code du Travail qui dispose désormais :
« Si le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l’entreprise, avec maintien de ses avantages acquis.
Si l’une ou l’autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés dans le tableau ci-dessous. »
Quel est le principe ? Les indemnités sont plafonnées par un barême.
Il est donc interdit au juge de donner davantage au salarié puisqu’il existe un plafond.
Surpris par cette résistance des Juges, le Ministère du Travail s’est défendu en indiquant que le Conseil d’Etat avait déjà confirmé en référé la légalité des ordonnances et que se “pose à nouveau la question de la formation juridique des conseillers prud’homaux” (sic !! ).
Il faut se rappeler que le Conseil d’Etat avait publié un communiqué dans lequel il explique que sa décision, rendue en référé le 7 décembre 2017, n’était par nature pas définitive et ne préjugeait pas de son appréciation sur la légalité des ordonnances.
Il ne s’agissait que d’une décision de référé qui ne tranche pas le fond. Et le fond n’avait jamais été tranché car, entre-temps, les ordonnances ont été ratifiées et ont pris force de loi. Le Conseil d’Etat n’avait donc plus compétence pour juger de la conformité de ces ordonnances, transformées en loi grâce à leur ratification….. Le Conseil d’Etat, en clair, n’a jamais confirmé la légalité de ces ordonnances, et ne le peut plus. Elles sont devenues des lois.
Selon les 3 conseils de prud’hommes, les ordonnances seraient contraires à la charte sociale Européenne et à la convention N°158 de l’OIT (Organisation internationale du travail) :
Dans des arrêts des 29 mars 2006 et 1er juillet 2008 la Cour de Cassation a réaffirmé que les dispositions de la convention 158 de l’OIT sont applicables et que les dispositions de la législation nationale ne peuvent être contraires à celles-ci. Les dispositions mises en avant par les conseils de prud’hommes sont :
Article 10 de la convention 158 de l’OIT :
« Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée. »
Article 24 de la Charte sociale européeenne :
« Droit à la protection en cas de licenciement
En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître :
a) Le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur les nécessités de fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service ;
b) Le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée.
A cette fin les Parties s’engagent à assurer qu’un travailleur qui estime avoir fait l’objet d’une mesure de licenciement sans motif valable ait un droit de recours contre cette mesure devant un organe impartial. »
Les trois décisions rebelles des Conseils de Prud’hommes
Dans sa décision du 13 décembre 2018, le conseil de prud’hommes de TROYES estime que :
« L’article L1235-3 du Code du travail, en introduisant un plafonnement limitatif des indemnités prud’homales, ne permet pas aux juges d’apprécier les situations individuelles des salariés injustement licenciés dans leur globalité et de réparer de manière juste le préjudice qu’ils ont subi ».
« De plus, ces barèmes ne permettent pas d’être dissuasifs pour les employeurs qui aimeraient licencier sans cause réelle et sérieuse un salarié. Ces barèmes sécurisent davantage les fautifs que les victimes et sont donc inéquitables. »
Cette même argumentation a été reprise par le Conseil de prud’hommes de LYON dans sa décision du 21 décembre 2018 :
« attendu qu’aux termes de l’art.24 de la Charte Sociale Européenne du 3 mai 1996, ratifiée par la France le 7 mai 1999, est rappelé le principe suivant : en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s’engagent à reconnaitre le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».
Et le Conseil de Prud’hommes d’Amiens le 19 décembre 2018 :
«que par les dispositions exposées par la convention 158 de l’OIT et de la jurisprudence établie en matière d’application de cette convention permettent aux juges nationaux de déterminer si les dommages attribués par la législation nationale sont appropriés en matière de réparation d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; que cette indemnité ne peut être considérée comme appropriée et réparatrice du licenciement sans cause réelle et sérieuse et ce dans le respect de la convention 158 de l’OIT mais aussi de la législation française et de la jurisprudence applicable en la matière ; que de ce fait il y a lieu pour le Conseil de rétablir la mise en place d’une indemnité appropriée réparatrice du licenciement sans cause réelle et sérieuse exercé par la SARL J. »
Mais en septembre dernier, le Conseil des Prud’hommes du Mans avait jugé l’inverse.
Saisi de la même question de conformité du barème aux conventions internationales que sont le Convention de l’OIT et la Charte sociale européenne , son interprétation avait été radicalement opposée à celle des prud’hommes de Troyes, Amiens et Lyon et il avait conclu que le plafonnement des indemnités ne posait pas de problème de conventionnalité.
« Le Conseil déclare que les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail ne sont pas contraires à celles de l’article 10 de la convention OIT no 158 et que le Conseil les appliquera donc pour déterminer le montant de l’indemnité deMme Y…, en raison du caractère abusif de son licenciement».
Ce qui en découle ….
Ces décisions contradictoires ouvrent une période d’insécurité juridique.
Les conseils de prud’hommes pourront trancher dans un sens ou dans l’autre sur la légalité du barème des indemnités jusqu’à ce que les Cours d’appel statuent, et qu’ensuite la Cour de Cassation rende enfin une décision . On peut se demander si les Cours d’Appel vont appliquer leurs délais habituels à ces affaires (environ 4 ans en région Parisienne) ou être prises d’une soudaine célérité pour faire trancher la question. En attendant, les salariés licenciés ont tout intérêt, à l’appui d’une négociation avantageuse ou dans le cadre des procès en cours, à alléguer une violation de ces conventions internationales et à faire état de ces décisions de 3 conseils de prud’hommes, tandis que les employeurs leur opposeront évidemment la décision du MANS. Il est à parier que ces décisions seront suivies de bien d’autres et jusqu’à ce que la question soit tranchée, on ne pourra établir de prévisions sur les conséquences d’un licenciement qu’en marchant sur des œufs.
Pascale PIGNOT
Avocat à la Cour