L’indemnisation des jeunes victimes d’accidents graves : la perte de leurs revenus futurs

un nounours d'enfant cassé. Des touffes de coton s'échappent du nounours.

Lorsqu’une jeune victime ressort d’un accident grave avec de telles séquelles qu’elle ne pourra jamais exercer la profession à laquelle elle se destinait, ou encore une profession dont elle ne rêvait pas encore mais qu’elle aurait pu exercer à l’âge adulte, il en résulte un préjudice très important.

Pour ces victimes, c’est non seulement un avenir profondément modifié, le deuil de leurs rêves et de ceux de leurs parents, mais aussi la perte d’une vie entière de revenus. A cause d’un handicap qui les empêche de travailler comme ils l’auraient pu, si un accident n’avait pas brisé leur vie en l’espace d’un instant, ils vont devoir vivre avec des revenus qui n’auront rien de commun avec ce qu’ils (et leur famille) imaginaient.

La réalité des faits

Selon l’« observatoire des inégalités » , entre 15 et 59 ans, une personne handicapée sur quatre (25,5 %) vit sous le seuil de pauvreté contre 14,4 % des valides.

« Les personnes qui souffrent d’un handicap dès leur jeunesse, ou au cours de leur carrière professionnelle, subissent des conséquences économiques plus graves que ceux qui rencontrent des limitations en raison du vieillissement : les handicapés d’âge actif connaissent des difficultés d’intégration dans le monde du travail en raison de leurs déficiences physiques ou mentales, mais aussi de leur parcours scolaire rendu plus difficile. Seules 17 % des personnes handicapées d’âge actif ont un diplôme supérieur au baccalauréat en 2018 (contre 34 % de l’ensemble de la population du même âge) et 41 % travaillent, contre 66 % de l’ensemble des adultes d’âge actif. Lorsqu’elles travaillent, les personnes handicapées sont plus souvent ouvrières et à temps partiel ».

Un autre article de l’Observatoire des inégalités insiste sur le fait que le handicap expose à la pauvreté et aux bas niveaux de vie.

des handicapés en fauteuil roulant dans un club de sport

Cette statistique ne tient pas compte non plus de toutes les dépenses supplémentaires auxquelles font face les personnes gravement accidentées.

Les progrès en matière d’indemnisation font que certaines de ces dépenses sont compensées par des indemnités (logement aménagé, matériels spécialisés, aide humaine) et les assurances (hélas pas toutes) ont fait de grand progrès dans ce domaine, mettant en œuvre des techniques fines d’évaluation, fondées sur des exemples très concrets de dépenses.

Malgré tout, rien ne viendra compenser avec exactitude les dépenses supplémentaires que va exposer une personne gravement accidentée pour partir seule en vacances, pour se rendre au spectacle, ou pour réaliser un projet occasionnel quel qu’il soit.  Car ces dépenses sont imprévisibles et ne rentrent dans aucune « case ».

une personne en fauteuil roulant au travail dans un bureau

La perte de gains professionnels futurs

Le poste « perte de gains professionnels futurs » est donc extrêmement important car si l’on cantonne la victime à un revenu trop juste, elle ne pourra jamais faire aucune économie ni aucun achat et ne pourra se borner qu’à faire face à ses dépenses essentielles.

La manière dont sont indemnisées les jeunes victimes au titre de leurs pertes de gains professionnels futurs participe, sans doute encore en partie, à cette paupérisation des personnes handicapées à la suite d’un accident grave. C’est donc un sujet qui mérite une réflexion et une attention accrues.

Dans la nomenclature des postes de préjudice indemnisables lors d’une procédure d’accident, la « perte de gains professionnels futurs » est ainsi définie :

« Il s’agit ici d’indemniser la victime de la perte ou de la diminution de ses revenus consécutive à l’incapacité permanente à laquelle elle est désormais confrontée dans la sphère professionnelle à la suite du dommage.

 Il s’agit d’indemniser une invalidité spécifique partielle ou totale qui entraîne une perte  ou une diminution directe de ses revenus professionnels futurs à compter de la date de consolidation. Cette perte ou diminution des gains professionnels peut provenir soit de la perte de son emploi par la victime, soit de l’obligation pour celle-ci d’exercer un emploi à temps partiel à la suite du dommage consolidé. Ce poste n’englobe pas les frais de reclassement professionnel, de formation ou de changement de poste qui ne sont que des conséquences indirectes du   dommage. En outre, concernant les jeunes victimes ne percevant pas à la date du dommage de gains professionnels, il conviendra de prendre en compte pour l’avenir la privation de ressources professionnelles engendrée par le dommage en se référant à une indemnisation par estimation ».

un homme retourne ses poches de pantalon qui sont complètement vides

Rien ou alors le SMIC ?

Lorsque la victime est très jeune, les compagnies d’assurances font parfois valoir qu’on ne sait pas quel métier elle aurait pu exercer, et soutiennent très souvent que le préjudice est aléatoire et qu’en indemnisant une perte de gains, on améliore le sort de la victime au lieu de le réparer. Les compagnies décident alors soit de ne pas indemniser, soit dans le meilleur des cas d’’indemniser en se basant sur le SMIC.

Le refus total d’indemnisation ne semble pourtant plus être un point de vue  tenable depuis un arrêt de la Cour de Cassation du 25 juin 2015 . L’assurance soutenait « qu’il ne peut être fait droit à une demande d’indemnisation d’un événement futur favorable qu’à la condition que cet événement ne soit pas simplement virtuel et hypothétique » et que rien ne donnait la certitude que la jeune accidentée, en l’absence d’accident, aurait travaillé une fois arrivée à l’âge adulte.

La Cour de Cassation n’a pas été de cet avis et décidait  :

« s’agissant des pertes de gains futurs, si l’expert judiciaire a effectivement conclu que Madame X. ne subissait pas un retentissement professionnel ou scolaire puisqu’elle n’exerçait à l’époque des faits aucune activité professionnelle ou estudiantine, les jeunes victimes ne percevant pas à la date du dommage de gains professionnels, il est évident qu’à 18 ans, celle-ci n’était pas destinée à rester inactive toute sa vie et qu’elle pouvait au moins prétendre à un salaire équivalent au SMIC, qu’elle était une bonne élève […] il résulte qu’elle avait un potentiel et qu’elle pouvait prétendre à un emploi rémunéré […] la cour n’a pas réparé un préjudice virtuel et hypothétique en allouant à Madame X. une indemnité ….. »

Cette décision confirmait un arrêt de la Cour d’Appel de Rennes, 2 juillet 2014, qui avait retenu le SMIC comme référence.

Il ne faut donc en aucun cas accepter que ce poste ne soit pas indemnisé au motif que la victime est très jeune lors de l’accident.

un dessin représentant les courbes du salaire médian et du salaire moyen en France

Salaire médian ou salaire moyen

La référence au SMIC, quant à elle, est peu à peu abandonnée au profit, dans de nombreux cas, des notions de salaire médian et de salaire moyen.  On ne peut plus tenir pour acquis que toute personne accidentée n’aurait nécessairement gagné que le SMIC si elle n’avait pas été accidentée. Ce serait la condamner à la pauvreté sans tenir compte de ses capacités, et indemniser finalement toutes les victimes en fonction d’un barême unique : tout le monde au SMIC ( !).

Les Cours d’Appel vont surtout utiliser les notions de salaire « médian » et de salaire « moyen ».

Le salaire médian est ainsi calculé : On sépare l’ensemble des travailleurs en deux groupes égaux : la moitié d’entre eux gagne moins que le salaire médian, tandis que l’autre moitié gagne plus. Cet indicateur n’est plus réellement fiable car d’une part les variations sont importantes en fonction de l’âge, d’autre part la part de la population dont les salaires sont bas, pour diverses raisons, a augmenté, ainsi que son pouvoir d’achat (source INSEE ).

Le salaire moyen est la moyenne des salaires de toute la population. C’est une référence plus fiable  Le salaire moyen en 2020 dans le secteur privé des services aux entreprises était de 2570EUR mensuels Il était de 3540EUR pour les services mixtes, et de 2520EUR tout confondu. (source INSEE).

Les décisions des Tribunaux

Pour une victime de 6 ans, une Cour d’Appel se fait sanctionner d’avoir retenu le SMIC « sans expliquer pourquoi elle présumait que la profession à laquelle la victime pouvait accéder ne lui aurait pas procuré des revenus supérieurs au SMIC » . Elle sera alors indemnisée en fonction du salaire médian (Cour de Cassation, Chambre Civile 2, inédit publié sur LegiFrance).

Selon les Cours d’Appel, mais aussi selon les arguments des parties, on va arriver à faire retenir le salaire médian (moins favorable) ou le salaire moyen, mais il est possible aussi de faire retenir d’autres modes de calcul plus favorables. Toutefois cela demandera une argumentation particulièrement charpentée. Il n’y a pas d’unité entre les décisions de Cours d’Appel et tout dossier devra être fortement argumenté pour convaincre.

Déjà en 2010, la Cour d’Appel de REIMS avait statué sur le cas d’un enfant accidenté à l’âge de 2 ans (REIMS 13 septembre 2010 09/01613 chambre 1 publié sur le site DOCTRINE). Elle avait jugé que compte tenu du cursus scolaire et professionnel de la famille, il ne fallait pas retenir le SMIC mais le salaire médian, qui à l’époque représentait un indicateur fiable.

La Cour d’Appel de REIMS en 2023 continue de retenir le salaire médian (CA REIMS chambre 1, 27 janvier 2023 N° 22/01266). A noter que dans cette affaire traitée par LEKTOS (victime accidentée à 14 ans), le tribunal, convaincu par l’assurance qui soutenait qu’il n’y avait pas vraiment de préjudice, avait alloué 20.000€ forfaitaires, tandis que la Cour  d’Appel fait droit à une demande de 814.798€.

Attention, la totalité du futur salaire « perdu » ne sera pas retenu en entier si la victime est encore susceptible de travailler, et on lui allouera alors la différence entre le revenu net moyen français auquel elle aurait pu prétendre, et sa capacité effective de gains. (Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 14 octobre 2021, 20-13.537, Inédit publié sur LegiFrance).

Cette différence peut être considérable en fonction des bases de calcul retenues. Ainsi le tribunal judiciaire de ROUEN, lui, dans une autre affaire traitée par LEKTOS (jugement définitif) calcule la perte de gains futurs en fonction du salaire moyen des Français, soit 2530€ mensuels.  La jeune victime polytraumatisée de 17 ans, qui a lutté pour trouver un travail malgré tout, n’a perdu (selon le tribunal) que 60% de ses chances de travailler. Mais du fait que la référence est le salaire moyen, elle obtient une indemnisation plutôt favorable de 1.334.012,30€, en compensation de sa perte de gains futurs (TJ Rouen 27 mars 2024).

Conclusion

On voit ainsi que chaque cas est unique et qu’il faut se garder de schématiser. Il reste encore un champ infini d’argumentations pour obtenir la réparation la plus exacte et la plus juste possible de la perte de revenus futurs, en fonction d’éléments qui sont personnels à chaque victime.  Chaque cas doit faire l’objet d’une étude minutieuse, en se gardant de laisser de côté l’humain et les meilleures solutions possibles pour l’avenir d’une jeune victime.

LEKTOS AVOCATS

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Une Révolution pour les Victimes d’Accidents du Travail

Un ouvrier victime d'un accident du travail, au sol, avec deux autres ouvriers qui lui donnent les premiers secours.

Les victimes d’accident du travail qui bénéficient d’une rente de la Caisse d’assurance maladie vont enfin pouvoir percevoir leur indemnité au titre du déficit fonctionnel permanent sans que celle-ci soit entamée, voire anéantie, parce que la Caisse, jusqu’alors, récupérait sa créance sur cette somme.

Le sort des victimes d’accident du travail

Certes la victime d’un accident corporel, avant même d’être indemnisée par l’auteur de l’accident, est prise en charge par l’assurance maladie qui couvre ses soins médicaux, lui verse des indemnités journalières, ou encore (en cas d’accident du travail qui débouche sur une invalidité même partielle) lui sert une « rente accident du travail ».

Pour que la victime ne soit pas indemnisée deux fois d’un même préjudice, il a toujours été admis que les Caisses pouvaient récupérer le montant de leurs dépenses sur certaines sommes obtenues par les victimes dans leur procès contre l’auteur de l’accident. Certains postes étaient alors « absorbés » en tout ou partie par ce recours des Caisses.

Depuis 2006, le système s’était affiné. Une fois les préjudices rangés en catégories (la « nomenclature Dintilhac »), la Caisse ne pouvait absorber que certains d’entre eux : ceux qui correspondaient aux mêmes préjudices que ceux déjà indemnisés par la Caisse (recours dit « poste par poste »). Les préjudices dits « personnels » étaient exclus de ce recours des Caisses pour la bonne raison que les Caisses ne les réparent pas.

Mais, par une aberration que tous les auteurs ont dénoncée en vain pendant des années, la Cour de Cassation avait jugé (Cass. civ. 2, 11 juin 2009, n° 07-21.768) que les Caisses pouvaient aussi se servir sur le déficit fonctionnel permanent, alors qu’il s’agit d’un préjudice personnel.

Le déficit fonctionnel permanent répare les incidences du dommage qui touchent exclusivement à la sphère personnelle de la victime après consolidation. Il inclut notamment les souffrances que la victime ressentira sa vie durant. Il est donc facile de comprendre que la rente « accident du travail »  (calculée d’après les derniers salaires) ne répare pas ce préjudice-là, mais seulement une perte de revenus.

Pourtant cette position de la Cour de Cassation, critiquée par tous les auteurs et par la majorité des praticiens, qualifiée souvent de « contra legem » (contraire à la loi) n’en a pas moins fait jurisprudence pendant 14 ans, avec des conséquences particulièrement regrettables pour les victimes.

Les Arrêts de la Cour de Cassation

L’assemblée plénière de la Cour de Cassation y a mis fin par deux arrêts, d’abord l’arrêt du 20 janvier 2023. Elle juge désormais exactement l’inverse : la créance de la Caisse (rente accident du travail) ne s’impute plus sur le déficit fonctionnel permanent.

Comme il s’agissait d’un arrêt en matière de faute inexcusable de l’employeur, on attendait cependant la confirmation par un deuxième arrêt en matière d’accident causé par un tiers.

C’est chose faite. La solution est confirmée par un arrêt de la Cour de Cassation du 6 juillet 2023 chambre civile 2.

Cela a-t-il un rapport avec le fait que la branche « accident du travail » soit officiellement bénéficiaire depuis 2022 ? Ce n’est pas sûr, car le payeur final des sommes dues, que ce soit à la Caisse ou à la victime, reste les compagnies d’assurances, dont la facture s’alourdit encore.

Dans tous les cas cela ne répare pas 13 années d’injustice pour les victimes définitivement jugées à l’aune d’une jurisprudence « contra legem » . Celles qui ont encore une voie de recours doivent de toute urgence l’utiliser pour demander l’application de cette nouvelle « règle » qui s’applique aux instances « en cours » .

Catherine Marie Klingler
Avocat au Barreau de Paris

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Propriétaires de Chevaux et Accidents de Circulation : Qui est responsable ?

Un motard a été gravement accidenté sur une route de campagne. A la sortie d’un virage, ébloui par le soleil, il n’a pas vu qu’une voiture...

Propriétaires de Chevaux et Accidents de Circulation : Qui est responsable ?

chevaux égarés sur la route

Un motard a été gravement accidenté sur une route de campagne. A la sortie d’un virage, ébloui par le soleil, il n’a pas vu qu’une voiture était arrêtée en pleine voie. La conductrice avait été obligée de s’arrêter car des chevaux erraient sur la route. Le motard a heurté de plein fouet la voiture et a été gravement blessé.  Il demandait à l’assurance de la voiture de l’indemniser. L’assurance de la voiture s’est retournée contre la propriétaire des chevaux. Or la propriétaire avait, la veille, laissé un agriculteur déplacer les chevaux puis les placer dans un enclos, puis pour finir, un inconnu avait sectionné la clôture de l’enclos, ce qui avait permis aux chevaux de s’échapper sans que la propriétaire soit au courant.

La question de la responsabilité

Dans un arrêt du 2 juillet 2018, la Cour d’Appel de Paris rappelle un principe important : en présence de plusieurs responsables d’un même fait dommageable, les recours qu’ils exercent entre eux ne peuvent être fondés que sur des fautes plus ou moins graves qui pourraient leur être reprochées, et non pas sur des régimes de responsabilité « sans faute ».

Deux responsabilités « sans faute »

La responsabilité en matière de circulation routière est régie par la loi du 5 juillet 1985 qui permet d’engager, sans qu’il soit nécessaire de démontrer une faute, la responsabilité d’un conducteur automobile ou d’une moto (véhicules terrestres à moteur) , dès l’instant que le véhicule est « impliqué » (par exemple par un contact ou une position gênante).

La responsabilité d’un propriétaire d’animaux est également une responsabilité « sans faute » qui, à l’époque des faits, était régie par un texte de 1804 l’art.1385 ancien du code civil « Le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé ». Il n’est nécessaire de démontrer aucune faute du propriétaire pour engager sa responsabilité.

Le vent de nouveauté qui souffle sur toutes choses a réformé le code civil. Le nouvel art. 1243 qui remplace l’ancien art. 1385 est ainsi libellé «  le propriétaire d’un animal, ou celui qui s’en sert, pendant qu’il est à son usage, est responsable du dommage que l’animal a causé, soit que l’animal fût sous sa garde, soit qu’il fût égaré ou échappé » (cherchez – ou plutôt ne cherchez pas la différence car il n’y en a pas).

Pourquoi des régimes de responsabilité « sans faute » ?

Ces régimes de responsabilité dits « sans faute » sont destinés à permettre une indemnisation plus facile des victimes, qui n’ont pas à démontrer une faute qui a causé leur préjudice.

Ces régimes sont très nombreux et les deux cités plus haut ne sont que des exemples.

Les situations de concours de responsabilités

En présence de plusieurs responsables d’un accident, la victime peut se tourner vers l’ensemble de ces responsables ou alors choisir de n’agir que contre un seul. Celui-ci va alors se retourner le plus souvent contre les autres responsables, que l’on appelle « co-responsables » ou « co-impliqués ».  Il invoquera la subrogation (le fait d’avoir payé à la place du responsable).

Mais le co-responsable ou co-impliqué ne bénéficie pas des mêmes facilités qu’une victime. Il ne peut pas invoquer à son profit les régimes de responsabilité « sans faute ». Pour rejeter sur quelqu’un d’autre tout ou partie de sa responsabilité, le co-responsable doit prouver que cette personne a commis une faute.

Ce principe est bien connu dans les accidents de la circulation. Lorsqu’il y a carambolage et que plusieurs conducteurs (et leurs assurances) sont poursuivis par les victimes, les conducteurs ne peuvent rejeter la charge de la responsabilité, entre eux, qu’en démontrant que l’un ou plusieurs d’entre eux ont commis des fautes. La responsabilité sera alors partagée en fonction de la gravité des fautes respectives.

Et c’est le même principe lorsqu’une situation se trouve au centre de plusieurs responsabilités régies par des textes différents.

Un concours de circonstances qui devient un concours de responsabilités

Dans le cas soumis à la Cour d’Appel, des chevaux s’étaient échappés d’un enclos qui n’était pas celui de leur propriétaire. La propriétaire avait, la veille, autorisé un agriculteur à déplacer les chevaux pour faire des travaux agricoles. Les chevaux n’avaient pas été remis à leur place. Ils s’étaient échappés car quelqu’un avait coupé les fils de clôture de l’enclos. Les chevaux s’étaient égarés sur la route et avaient obligé une voiture à s’arrêter en pleine chaussée. C’est alors qu’un motocycliste, surgissant d’un virage, ébloui par le soleil, n’avait pas pu éviter l’automobile. Il était gravement blessé. L’accident était le résultat de toutes ces circonstances.

Qui est le responsable final ?

La victime n’avait poursuivi que l’assurance de la voiture. L’assurance du véhicule automobile avait alors eu l’idée de rejeter toute la responsabilité sur la propriétaire des chevaux.  La raison bien commode était qu’il était inutile de démontrer une faute à son encontre (art.1385 du code civil). Et donc pourquoi ne pas rejeter sur elle la totalité des conséquences de l’accident ?

Quel régime de responsabilité choisir ?

Un problème épineux était soumis à la sagacité des avocats et des juges . Il fallait appliquer en même temps le droit des accidents de la circulation (loi du 5 juillet 1985) pour protéger la victime, tout en sachant qu’il existe aussi un régime de responsabilité sans faute du fait des animaux.  Mais la victime ne demandait rien à la propriétaire des chevaux. L’action était exercée par l’assurance de la voiture. Elle était donc fondée sur la subrogation des anciens art.1251 et suivants du code civil (le principe de la subrogation est que celui qui a payé quelque chose pour le compte de quelqu’un d’autre a le droit de poursuivre le véritable redevable car il est « subrogé » dans les droits de la victime). La question se posait donc de savoir qui pouvait appliquer quel régime de responsabilité à qui. Le régime de responsabilité sans faute du fait des animaux pouvait-il être utilisé par l’assurance de la voiture contre la propriétaire des chevaux ?  Un véritable cas d’école.

Résultat Final

La solution donnée par la Cour d’Appel

Le premier juge, dérouté par la complexité de l’affaire, avait simplement appliqué l’art.1385 ancien du code civil. Il avait estimé que comme la propriétaire d’animaux était responsable sans que l’on ait besoin de démontrer une faute de sa part, elle pouvait être redevable de la totalité des dommages. Et le premier juge avait condamné la propriétaire des chevaux à rembourser la totalité du dommage à l’assurance de la voiture.

La propriétaire des chevaux était évidemment très mécontente. Elle avait interjeté appel. Elle faisait remarquer qu’elle n’avait commis aucune faute et que, puisque la victime ne lui demandait rien, les autres auteurs de l’accident ne pouvaient pas la faire condamner sans qu’une faute fût démontrée à son encontre.

La Cour d’Appel réforme totalement le jugement. La Cour d’Appel rappelle que quand un recours n’est pas exercé par la victime mais par un co-responsable, ce recours doit être fondé sur une faute c’est-à-dire ici l’ancien art.1382 du code civil et que donc il ne peut pas être fondé sur l’ancien art.1385.  Un co-responsable ne peut pas bénéficier des régimes favorables de responsabilité dits « sans faute » qui ont été créés pour les victimes.

C’est déjà ce qu’avait jugé la Cour d’Appel de Chambéry dans un arrêt du 18 octobre 2012. Il s’agissait d’un enfant de 5 ans accidenté au cours d’une remontée en télésiège ; pressé par des passagers adultes, il avait eu la tête coincée contre le garde corps d’un télésiège ; il avait été privé d’oxygène 14 minutes, et asphyxié ; ce qui avait entrainé un arrêt cardio-respiratoire, un coma et des séquelles graves ; indemnisé par l’assurance du passager qui l’avait comprimé, celle-ci avait voulu se faire rembourser par  l’assurance de l’exploitant de télésiège, au titre d’une responsabilité « de plein droit ». La demande a été rejetée.

Dans le cas jugé par la Cour d’Appel de Paris ce 2 juillet 2018, l’assurance du véhicule voulait faire payer les dommages par la propriétaire des chevaux, sans avoir à démontrer une quelconque faute de sa part. Et comme personne n’a invoqué la moindre faute contre la propriétaire des chevaux, qui  n’en avait d’ailleurs commis aucune (la Cour prend le soin de le démontrer) , aucune responsabilité n’est mise à sa charge.

C’est seulement si elle avait commis une faute qu’elle aurait pu contribuer à la dette, et encore aurait-il fallu comparer la gravité respective des fautes de chacun des participants à l’accident.

« Sur le fond, en droit, en application des articles 1382 et 1251 du code civil, la contribution à la dette de réparation du dommage subi par la victime d’un accident de la circulation, entre le conducteur d’un véhicule impliqué et un tiers non conducteur de véhicule terrestre à moteur, a exclusivement lieu à proportion de la gravité de leurs fautes respectives.

Il s’en déduit, que, d’une part, le recours en contribution exercé par la Banque Postale en vertu de l’article 1385 du code civil doit être rejeté comme mal fondé, toute discussion sur la détermination du gardien des chevaux en divagation étant juridiquement inopérante, et que, d’autre part, ce recours impose, nécessairement et uniquement, de rechercher si la divagation des chevaux est fautivement imputable à Nolwenn A.

….Il s’en déduit qu’aucune faute d’imprudence ou de négligence n’a été commise par Nolwenn A, de sorte que le recours formé à son encontre par la Banque Postale doit être rejeté, en infirmation du jugement entrepris et que, corrélativement, l’appel en garantie formé par Nolwenn A et son assureur à l’encontre de David B et son assureur est sans objet. »

Voilà de quoi redonner le sourire aux chevaux qui, eux, n’ont pas été blessés dans l’accident.

Catherine Marie KLINGLER
Avocat au Barreau de Paris

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